Extrait de "Retour à Oppedette" (Le temps qu'il fait, 2021)

 

Lorsqu’elle m’apparaît, elle marche depuis dix jours, venant des hauteurs des Alpes du Sud et descendant vers la plaine. Elle découvre le village au détour du sentier et se dit qu’elle est arrivée. C’est une fin d’après-midi du mois d’août. Le soleil déclinant commence à allonger les ombres. Elle est partie à l’aube, ne s’est arrêtée qu’au plus chaud de la journée. Elle est fatiguée et ses pieds lui font mal.

Le village n’est pas très accueillant. C’est un tout petit village, quelques maisons groupées en désordre autour d’un minuscule clocher. Et il ne semble guère habité. Mais elle aime aussitôt les pans d’argile cuite de ses toits fléchis par les siècles, ses murs troués de petites ouvertures sombres, et tout autour le vaste paysage de collines couvertes d’un épais pelage de petits chênes. Elle aime aussitôt cette sauvagerie en même temps que cette douceur. Elle descend vers le village par le sentier caillouteux.

Entre les maisons, les ruelles n’ouvrent qu’un étroit passage. Elle se glisse jusqu’à la petite place au creux du village, guidée par le bruit d’une fontaine. L’eau coule dans le silence du soir, par deux canons de fer enfoncés dans une pierre sommairement taillée. Posant son sac, elle boit longuement entre ses deux mains en coupe. L’eau est glacée comme les profondeurs de la roche où circulent dans l’obscurité les rivières souterraines. Elle est encore penchée sur la margelle quand elle croit sentir derrière elle un regard. Elle reste un instant ainsi, ne buvant plus, dans le bruit de l’eau qui creuse le silence. Puis elle se redresse.

Autour de la place les maisons ne montrent aucun signe de vie. Elle en fait lentement le tour, clignant des yeux dans le soleil encore vif. Il lui semble que l’une des maisons est moins déserte que les autres. Un volet est ouvert, il y a un rideau à la fenêtre. Elle croit voir bouger ce rideau, mais peut-être est-ce la fatigue. Elle charge son sac par une bride sur l’épaule et s’avance vers la maison. La porte est fermée. Elle frappe trois fois du poing le bois dur. Elle attend. Elle s’apprête à repartir quand la porte s’ouvre en grinçant. « Entrez, je vous en prie », dit une voix dans l’ombre. C’est une voix d’homme, douce mais persuasive. Elle ne distingue qu’une silhouette car ses yeux sont encore pleins de la lumière du soleil. Elle franchit sans réfléchir le seuil usé par les pas et pénètre dans une salle obscure et fraîche qui sent la pierre et le bois brûlé.